Edito – De la confusion entre amélioration de notre connaissance des langues étrangères et prééminence de la langue anglaise


Je suis de ceux qui militent pour une amélioration substantielle des moyens accordés à l’apprentissage des langues étrangères autant que d’une réforme profonde de nos méthodes pédagogiques dans ce domaine.

Nous n’avons en effet pas le loisir de rester bras ballants face à ce décrochage latin auquel la France n’échappe nullement. Ainsi, les jeunes français maitrisent-ils bien moins les langues étrangères, au premier rang desquelles la langue de Shakespeare, que leurs petits camarades de la plupart des pays développés … Nul doute, ne serait ce qu’en vertu des apports culturels des savoirs linguistiques, que des mesures fortes doivent être prises pour renverser cette situation.

Je ne suis pas de ceux qui en revanche confondent cet impératif culturel avec un principe d’exclusivité et d’uniformité auquel d’aucuns veulent nous soumettre sous couvert d’arguments prétendus pour être de bon sens. Si chacun reconnaît à la langue un pouvoir infini, celui des mots, il est également lieu de reconnaître toutes les richesses qu’appellent la diversité des cultures et des savoirs que les langues recouvrent. Les nombreux et répétés plaidoyers de la France en faveur de la diversité culturelle et linguistique ne sauraient être passés à la trappe d’un quelconque pragmatisme qu’il faudrait commencer par démontrer.

De la réforme de l’université actuellement en débat, je n’ai ainsi que peu de choses à redire et j’ai la conviction que nous allons dans la bonne direction. Permettez toutefois que j’interroge cette prétendue nécessité de faire cours en anglais et que l’on puisse opposer une autre logique, plus soucieuse de la diversité et plus encline à mettre en avant nos atouts dans la mondialisation de l’enseignement et de la recherche.

Ainsi la France est-il d’ores et déjà le 4ème pays au monde pour l’accueil des étudiants étrangers. Nos universités et nos écoles sont donc attractives et nous aurions tord de méconnaître nos atouts. Ceux-là sont ceux du service public de l’enseignement supérieur (droits d’inscription peu élevés), du rayonnement de notre culture et des opportunités qu’elle propose dans tout l’espace francophone. Le savoir et les diplômes que nous délivrons sont-ils en effet valorisables sur l’immense marché du travail et commercial que représente la francophonie.

Veut-on aussi enseigner toutes nos disciplines en anglais pour faire venir les meilleurs des étudiants du monde entier qui désirent étudier … en anglais ? Mais ceux-là poursuivront leurs études dans les pays où la langue et la culture anglaise sont une seconde respiration. De surcroît, quels seront les professeurs de philosophie, d’histoire, de sociologie ou de mathématiques capables demain de délivrer des cours dans un anglais d’excellence ?

Les normes de la recherche internationale seraient l’autre motivation de cette proposition. Pour ma part, j’ai la conviction que nous ne devons céder à cet impérialisme scientifique qui nuit à la création des savoirs et uniformise les structures de pensée. Faute d’alternative organisée, il convient aujourd’hui d’observer que la publication d’articles en anglais est incontournable pour les meilleurs de nos chercheurs, par exemple pour celles et ceux qui entendent obtenir une habilitation à diriger des recherches (HDR indispensable au statut de professeur d’université). Mais cette domination s’exerce souvent au détriment de la qualité de la recherche, de la richesse de la diversité que susciteraient des normes et des codes plus flexibles.

J’ai aussi acquis la conviction que nous pourrions être à l’initiative d’autres logiques qui, loin d’opposer les langues et les cultures les unes ou autres, revendiqueraient l’apport de notre histoire et de nos savoirs à la connaissance universelle. D’autres voies sont possibles et il me semble que nous aurions tout à gagner à œuvrer pour la mise en place d’une communauté scientifique francophone à dimension internationale : de Paris à Montréal, d’Abidjan jusqu’à Bruxelles…

La mondialisation, entendue au sens de la croissance des échanges entre les civilisations, est une opportunité incontestable à l’amélioration de la compréhension du monde et des hommes. A condition qu’elle ne soit synonyme d’uniformité. De même, ne faut-il pas devenir les naïfs du changement, les résignés du « there is no alternative », susceptibles de croire aux avantages partagés que nous pourrions gagner du développement exclusif de la culture anglo-saxonne. Ainsi, allemands et néerlandais interrogent-ils aujourd’hui ces politiques, qu’ils ont mis en œuvre ces dernières années, en considération des formidables espaces de développement que représentent l’Afrique francophone et l’Amérique latine hispanophone.

Ces réflexions ne doivent pas masquer notre immense retard pour ce qui concerne la maitrise des langues étrangères, qu’il s’agisse de l’anglais ou de l’espagnol par exemple. Mais, séparer le bon grain de l’ivraie, c’est reconnaître, sans archaïsme mais avec lucidité, les opportunités pour le savoir universel et pour la France que constituent l’espace francophone et nos écoles françaises partout dans le monde. Nous ne saurions les brader.

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