Comment défendre l’indéfendable?


Connaissez-vous Grégory Mankiw ? Sûrement pas, sauf si vous avez été un étudiant en Sciences Economiques et plus particulièrement en macroéconomie. Car G. Mankiw est avant tout économiste.

Mankiw

Professeur à Harvard et chercheur à ses heures, il fait parti de ces économistes universitaires qui ont su faire fructifier leur nom par le biais de manuels vendus dans le monde entier. Appartenant à la nouvelle école keynésienne (comme Stiglitz, Mirlees ou encore Blanchard par exemple) née dans les années 80 en réponse à la nouvelle économie classique, ce courant de pensée stipule entre autre et contrairement à la pensée keynésienne que les prescriptions de politique économique usuelles des keynésiens (déficit budgétaire et taux d’intérêts bas) ne tiennent pas assez compte des problèmes structurels liés au fonctionnement des marchés. Cette ambivalence du courant permet ainsi d’y voir se côtoyer des économistes comme Stiglitz et Mankiw qui pourtant ne se retrouvent pas sur le fond. Par exemple, pour ce dernier, les déséquilibres structurels ne se manifestent que sur le court terme, et à long terme, l´équilibre est de type néoclassique. Le marché reprenant ainsi ses droits. Soit une vision libérale de l’équilibre de marché.

L’ambigüité de ce courant de pensée entraine alors certains de ses représentants à prendre des positions subjectives, voire intéressées, et à porter non plus des thèses keynésiennes mais bien des analyses ultralibérales qui sont d’une part en dehors des réalités économiques et sociales et d’autre part erronées scientifiquement. G. Mankiw se pose là comme un bel exemple de perte d’objectivité.

Les raisons de mon jugement font suite à un article publié en juin par cet économiste dans lequel il justifiait l’augmentation indécente des revenus des « 1% les plus riches »[1]. Selon lui, ces évolutions sont les fruits du talent et de la qualité du travail fourni par ces individus. Ces salaires indécents et sans fondement économique seraient donc le résultat de leur mérite… J’en connais qui doivent se retourner dans leur tombe.

Le niveau de vie des mieux lotis est reparti à la hausse, celui des plus pauvres a encore baissé de 1,5% environ

Je ne vais pas revenir sur l’évolution des revenus depuis 25 ans qui ont d’ailleurs trouvé des réponses dans les travaux T. Piketty, C. Landais ou encore G. Allègre plus récemment (ce dernier ayant explicitement répondu à l’article de G. Mankiw). Néanmoins, il me semble utile de pointer particulièrement la hausse des inégalités depuis le début de la crise. Dans une étude récente, l’Insee démontre que le niveau de vie des Français a stagné ou baissé en 2010, mais que cette tendance masque une réalité bien plus contrastée. En effet, ce sont une nouvelle fois les plus modestes qui ont été particulièrement touchés par la crise, alors que les 5% les plus riches s’en sortent beaucoup mieux. La diminution varie entre 1,3 et 1,6% pour les 30% les plus pauvres mais les catégories les plus aisées échappent à ces mauvaises nouvelles : le niveau de vie des 5% les mieux lotis est reparti à la hausse en 2010 (+1,3%) après avoir quasiment stagné en 2009 (+0,2%). Et les revenus des 1% les plus aisés (à partir de 89 400 euros par an) ont augmenté plus fortement encore (+4,7%) ! Ces augmentations s’expliquent par une hausse des revenus d’activité mais aussi grâce à celle des revenus du patrimoine (l’immobilier ou les placements financiers).

En 2010, le niveau de vie médian de la quasi-totalité des ménages français a ainsi baissé de 0,5% par rapport à 2009, indique l’Insee dans son ouvrage «Revenus et patrimoines des ménages». Il atteignait 19 270 euros annuels, soit 1 610 euros par mois (la première moitié de la population ayant moins, la seconde plus).

Le degré de progression d’une société s’apprécie à l’aune de la situation faite aux plus défavorisés de ses membres

Comment est-il alors possible de défendre qu’une hausse continuelle des plus hauts revenus est juste, qu’elle n’est due qu’aux simples talents des bénéficiaires, quand dans le même temps le reste de la population s’appauvrit ?! Ce simple énoncé remet en cause les fondements mêmes des principes égalitaristes sur lesquels nos sociétés occidentales reposent. Ces principes énoncés par J. Rawls[2], puisés entre autre dans notre devise « liberté, égalité, fraternité », se fondent en effet sur un socle essentiel : le degré de progression d’une société s’apprécie, non à partir de la progression de l’ensemble de la population appréhendée collectivement, ni à celle de la moyenne, mais à l’aune de la situation faite aux plus défavorisés de ses membres. Ainsi, il défend l’idée selon laquelle le concept d’égalité des chances doit permettre à tout le monde, à capacités égales, un même accès aux diverses fonctions de la société.

Il serait intéressant de continuer la critique de la vision ultralibérale de la distribution des richesses (celle de G. Mankiw) au regard d’autres analyses. Je pense entre autre à celle d’Amartya Sen qui apporterait une autre approche, un autre point de vue, nécessaire pour ne pas laisser croire qu’il est tolérable d’accepter de tels écarts. La notion de talents ne suffit pas. L’actualité récente avec le transfert de Gareth Bale au Réal de Madrid le prouve bien. Dans cette société où l’image et la spéculation ont pris le dessus sur la valeur réelle des choses, il est urgent de retrouver le juste équilibre des échanges et la juste mesure des réalités.

[1] N. G. Mankiw « Defending the One Percent», Journal of Economic Perspectives, vol. XXVII, n° 3, été 2013.

[2] J. Rawls, A The Theory of Justice, Harvard Press University, 1975

3 thoughts on “Comment défendre l’indéfendable?

  1. Qui dit société dit ensemble, évidemment il n’est pas possible de scinder le sort des individus, la cohésion du groupe ne peut être maintenue que par la progression de tous,y compris du »maillon faible ». Également, nous ne pouvons pas faire l’impasse d’une nouvelle réflexion sur l’écart de rémunération qui peut exister entre le maillon fort et le maillon faible, compte tenu des dérives constatées. Nombre de celles-ci sont plus qu’excessives et en totale inadéquation avec les résultats, certains dirigeants s’octroyant même de surcroît des augmentations alors que l’activité comme les résultats sont en fortes régressions.

    Pourquoi cette dérive, alors que la loi prévoit pourtant une règle et donc une limite. Les rémunérations versées aux dirigeants salariés ne font partie des charges déductibles des bénéfices imposables que dans la mesure où le montant global n’exède pas la rétribution normale. Celle-ci s’apprécie par rapport aux autres entreprises similaires.
    Sauf que :
    – c’est le conseil d’administration qui valide la demande de rémunération du dirigeant.
    – celui-ci est composé justement des dirigeants d’entreprises similaires, le recrutement de ses membres se faisant de fait par cooptation.
    Cherchez l’erreur !
    Ainsi, les dirigeants salariés depuis trente ans ont pu faire monter la mayonnaise entre eux, et de façon indécente en toute légalité. Ces dirigeants, sont la plupart du temps des personnes brillantes, issues de grandes écoles, mais pas fréquemment de la veine des entrepreneurs type Bill Gates, Stève Jobs et consorts.
    Il est urgent de revoir cela et de fixer un plafond de salaire de 10 fois, voire 20 fois le smig pour les très grosses entreprises, avantages en nature et jetons de présence compris, assortie éventuellement de la possibilité d’une souscription préférentielle , dite « stock option » ,mais avec l’obligation de conserver les actions souscrites au moins un an après la fin de leur mandat.
    Fort de la mise en place de cette réglementation pour les dirigeants, ce principe pourra être étendue à tous les salaires, sportifs compris.
    Ensuite et pour tous le monde, s’applique la progressivité de l’impôt, qui comprend l’ensemble des revenus : salaires, revenus fonciers, mobiliers, BIC,BNC et plus values réelles et non pas apparentes ( en francs/ou euros constants).
    Une action acquise il y a trente ans et revendue le double aujourd’hui peut être une moins value et non une plus value du fait de l’érosion monétaire.
    Par contre la taxation du patrimoine est une idée absurde et plus spécialement la taxation pour détention de valeurs mobilières. Il ne faut pas perdre de vue que le capital d’une entreprise est par essence le montant immobilisé durablement pour mettre en œuvre des moyens de production pour créer de la richesse et qui est source d’emplois.
    La part que prend l’état lors des donations et héritages n’est pas mince, la division qui résulte aussi de la pluralité des héritiers augmente encore la dispersion. Pour permettre son développement , l’entreprise à besoin de capitaux et de faire appel à l’épargne , ce qui accentue la dilution et l’émiettement du capital.
    Par ailleurs, une bonne partie de notre économie est déjà aux mains de fonds de pensions étrangers et fonds souverains, et qui sont par essence, en dehors des mesures envisagées.
    Autrement dit, toutes ces mesures de découragement, d’affaiblissement des détenteurs français vont profiter à ces fonds qui en ressortiront renforcés et encore plus décisionnaires que jamais, quelle imbécilité!
    Par ces temps difficiles, combien de nos ministres, de nos députés, de nos sénateurs , de nos présidents (État, région, département) ont sacrifié la jouissance immédiate d’une partie de leur revenu pour la consacrer à un investissement de long terme dans notre économie ?
    Voyez-vous, ce qui interpelle, c’est l’absence totale de participation de nos ministres dans notre économie, sauf erreur, un seul fait état de possession d’actions et dans une seule entreprise !
    Ce constat ne m’inspire qu’une chose, qu’un mot : C’EST MINABLE !
    Que nos sénateurs s’exinèrent de la règle du non-cumul des mandats au prétexte que……….Bien, prenons en acte, et laissons leur cette possibilité, mais assortie de l’obligation de ne percevoir que la rémunération d’un seul mandat, au choix !

    Beaucoup de travail et de talent ont transformé en « vedettes » certains sportifs dans les domaines très médiatisés comme le golf, le base-ball, le basket, le tennis, le cyclisme, le foot-ball , la boxe etc, mais beaucoup d’autres disciplines, toutes aussi valeureuses, demandent autant de talent et d’efforts, sans recevoir un retour financier.
    Comme pour les acteurs avec les films dans les années cinquante,puis les chanteurs avec les disques dans les années soixante, les sportifs avec les retransmissions télévisuelles , les évolutions technologiques majorées des effets de la publicité et du phénoménal de masse, ont multiplié les recettes de ces activités, ce dont profitent les États avec l’ensemble des taxes générées.
    Si le talent et le travail de ces personnes sont incontestables, constatation de M. G, MANKIW , d’autres paramètres entrent aussi en jeu, l’évolution technique, et rien n’interdit aux États d’adapter les règles existantes pour limiter les excès.
    Aucun système ne vit sans règle, même le libéralisme.

    Maintenant Gareth Bâle est un sujet Britannique et son employeur actuel est Espagnol…….!
    Déjà, ni dans la CE ,ni même dans la zone Euro, nous ne sommes pas capables de nous entendre pour mettre en place une politique fiscale commune ni même d’honorer les engagements que l’on signe, et pas que les Grecs, cela risque de ne pas être simple. Mais comme on dit : qui ne tente rien…….

  2. C’est ce que l’on appelle capitalisme, non? Un professeur m’avais dit un jour que dans le système capitaliste, il n’y a pas de place pour les petits poissons. Quand on est pauvre, on le reste toujours. L’american dream n’est qu’un rêve pour donner espoir aux gens.

    • À Marc….
      Hélas, les professeurs disent aussi des bêtises, il ne faut par prendre tout comme argent comptant, surtout en matière d’économie, la réalité est toute différente, puisque Steve Job avec Apple, Bill Gate avec Microsoft ont débuté avec rien et dépassé, voire bouté hors circuit le monstre qu’était devenu IBM, et en moins d’une génération.
      Aujourd’hui regardez Google, Facebook…….Tesla dans automobile, SpaceX dans l’espace…..c’est toujours au départ un homme, une idée voire plusieurs pour Elon Musk….et ceci en une dizaine d’années.
      Alors votre professeur s’ était certainement trop nourri aux idées socialistes qui sont trés respectables sur le but à atteindre et malheureusement totalement contre productives concernant les moyens à mettre en œuvre.
      Darwin nous a montré la réalité de la sélection naturelle et de ses conséquences qui sont finalement bénéfiques, le capitalisme, c’est le même principe, rien n’est acquit définitivement pour personne, il faut sans cesse ne pas être dans les plus fragiles sinon on disparaît (économiquement) aux profits des meilleurs…..

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