La « théorie du genre », nouvel épouvantail mystifié des conservateurs


« Le progrès est impossible sans changement, et ceux qui ne peuvent pas changer leurs esprits ne peuvent rien changer » disait George Bernard Shaw. Ainsi décrivait-il cet état d’immobilisme dans lequel se trouvent ceux qui se complaisent dans leur monde imparfait, mus par une peur irrationnelle et paralysante.

C’est en tous cas l’état dans lequel semblent être figés ceux qui défilaient ce dimanche sous les couleurs de la Manif pour tous. Ceux qui s’étaient si longuement battu contre l’égalité des droits, contre le mariage des couples de même sexe, ont donc récidivé ce week-end, cette fois sur des mots d’ordre encore plus farfelus.

Contre la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui d’abord, deux propositions qui ne figuraient pas dans le projet de loi sur la famille de Dominique Bertinotti. Contre la « théorie du genre » ensuite, nouvel épouvantail manipulé par une extrême-droite farouchement opposé à l’égalité des sexes.

En effet, la théorie du genre n’existe pas, elle n’est qu’une fumisterie élaborée pour jouer sur les peurs, dans une période de forte défiance vis-à-vis du politique. Le concept de théorie du genre est utilisé à dessein par la droite et l’extrême-droite, il laisse entendre qu’il s’agirait d’une idéologie au service d’un lobby. Selon ces défenseurs de l’ordre établi, il s’agirait d’enseigner aux enfants dès le plus jeune âge l’homosexualité, le transsexualisme, voire les pratiques sexuelles telles que l’onanisme… Il est fort inquiétant de constater qu’il y ait quelques parents assez candides pour considérer ce qui pourrait être un très mauvais canular, d’autant plus que ces sordides rumeurs trouvent leurs sources auprès des amis d’Alain Soral, sinistre complotiste antisémite.

Précisons d’abord que si la théorie du genre n’existe pas, il existe en revanche des études sur le genre, c’est-à-dire un champ d’études scientifiques visant à analyser et décrypter les mécanismes de domination masculine. Pour les chercheurs français comme Christine Delphy, le genre est singulier puisqu’il s’agit d’un système de division hiérarchique de l’humanité en deux moitiés inégales. Pour les chercheurs américains, chaque individu a un sexe biologique et un genre, entendu comme sexe social, c’est-à-dire, tout ce qui ne nous est pas imposé par la nature mais qui relève de la culture. Les théories liées au genre sont donc nombreuses, parfois contradictoires.

Ce qui attise les foudres des conservateurs se trouve dans les nouveaux modules proposés aux écoles, les ABCD de l’égalité. Il n’y est évidemment pas question de sexualité mais de lutte contre les stéréotypes. En effet, notre société est encore aujourd’hui fondée sur des normes, sur un imaginaire collectif qui contraint les individus dans des rôles, en fonction de leur sexe.

Nous savons désormais grâce à la neurobiologie que ces rôles sociaux ne doivent quasiment rien à la biologie : les travaux de Catherine Vidal ont notamment démontré la plasticité du cerveau humain, c’est-à-dire son évolution continue tout au long de la vie ainsi que la moindre influence des hormones sexuelles sur le comportement humain.

Pourtant, ces rôles existent et se perpétuent de générations en générations – Bourdieu parlait de « causalité circulaire » à cet égard -. Ainsi attendra-t-on spontanément d’une petite fille qu’elle soit douce, fragile, fleur bleue et d’un petit garçon qu’il soit téméraire, turbulent, curieux. De la même manière que la classe sociale détermine fortement les possibilités d’un individu, son sexe le confronte à tout un tas d’injonctions normées dans laquelle chacun ne se reconnaît pas forcément.

Les stéréotypes sont condamnables parce qu’ils desservent les femmes tout au long de leur existence

Cette forme de « complémentarité » des sexes pourrait ne pas être problématique si elle n’était pas à l’origine de toutes les inégalités que nous connaissons encore aujourd’hui. De fait, les stéréotypes accolés aux femmes les défavorisent fortement tout au long de leur vie.

Pour comprendre les inégalités d’aujourd’hui il est important de se souvenir du modèle traditionnel qui a longtemps prévalu dans nos sociétés, celui de la femme au foyer, confiné à l’univers domestique.

Ainsi, si les femmes subissent encore un écart salarial d’en moyenne 27% par rapport aux hommes c’est notamment parce que, dans l’inconscient collectif, le salaire de la femme est un salaire d’appoint. Si les femmes sont si mal représentées en politique, c’est aussi parce que le rôle de décideur public a longtemps été réservé aux hommes, les femmes n’ont d’ailleurs acquis le droit de vote qu’en 1944. Et si les femmes sont encore fortement sous-représentées dans les filières scientifiques c’est au nom de cette dualité des qualités dites féminines et masculines, qui voudrait que les femmes soient meilleures dans les matières littéraires et les hommes dans les matières scientifiques. Bref, ces stéréotypes desservent les femmes et de manière générale les rôles contraignent les individus.

Faire de la politique, c’est constamment remettre en cause ce qui semble aller de soit, ce qui semble évident, pour chercher à analyser le monde au-delà des idées reçues et des préconstruits. C’était déjà le sens de la politique d’égalité des chances du Conseil général, ce sera demain l’ambition du Plan d’action que nous élaborerons à la suite de la signature de la Charte européenne pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie locale.

Ceux qui craignent aujourd’hui que l’école ne fourvoie leurs enfants étaient les mêmes qui criaient à la perversion quand l’école devint mixte. C’était les mêmes qui craignaient la destruction de la famille lorsque l’on permit aux femmes de faire de la politique. Ce sont toujours les mêmes passéistes qui nous auraient empêchés d’avancer si nous les avions écoutés. La gauche au pouvoir aurait tord de céder à la pression de cette rue dont on peut percevoir les sonorités poujadistes, nostalgiques d’un temps dépassé. Saluons à cet égard la détermination des députés socialistes qui souhaitent légiférer sur la famille et ainsi tenir les promesses du camp des progressistes.

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