Budget 2020: mission solidarité, insertion, égalité des chances


vendredi 29 novembre dernier,  je suis intervenu lors de la discussion générale sur la mission solidarité, insertion, égalité des chances du PLF 2020

 

voici le lien vers la vidéo de cette intervention

http://videos.senat.fr/video.1417933_5de11a2072cce.seance-publique-du-29-novembre-2019-apres-midi?timecode=18273000

 

et voici le compte rendu de ce discours

 

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jean-Louis Tourenne.

M. Jean-Louis Tourenne. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette mission porte un magnifique titre, « Solidarité, insertion et égalité des chances », qui laisse miroiter des ambitions d’harmonie, de cohésion sociale et d’attention aux personnes les plus fragiles. Il y a de quoi faire !

Le nombre de pauvres a augmenté et la pauvreté touche désormais plus de 9 millions de personnes, dont 3 millions d’enfants – on peut hélas ! deviner le destin qui leur est promis. Sept cents enfants à la rue sont recensés à Paris.

Les 10 % les plus pauvres voient leur pouvoir d’achat régresser.

Une famille sur deux déclare ne pouvoir financer le logement étudiant de son enfant.

Les inégalités se creusent. Quant aux revenus et aux fortunes des plus riches, ils s’envolent à une hauteur « sans précédent », selon la formule que vous employez à l’envi pour la moindre petite chose.

Cent trente-huit femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou de leur ex-conjoint et 22 000 femmes subissent des violences physiques ou sexuelles.

La France est championne du monde du déterminisme social. Ainsi, les enfants pauvres d’aujourd’hui seront les adultes pauvres et révoltés de demain, et la violence ne cessera d’augmenter.

« Vaste programme », aurait dit, sur un autre sujet le général de Gaulle. Vaste programme, qui justifiait, en matière de solidarité et d’égalité des chances, une forte détermination. Hélas !

Le montant de cette mission, supérieur à 25 milliards d’euros, pourrait apparaître assez important. Toutefois, déduction faite de la prime d’activité, de l’AAH et de la rémunération des personnels d’administration, seuls 1,2 milliard d’euros sont consacrés à des actions de raccommodage d’un tissu social qui part en lambeaux.

En réalité, votre politique sur cette mission se situe dans le droit fil de toutes les autres, marquée par les déclarations triomphalistes que la maigreur des efforts et des effets est loin de justifier, et par des présentations en trompe-l’œil qui n’abusent plus personne, tant la parole du Gouvernement est décrédibilisée.

Ainsi en est-il de l’affirmation d’un gain de pouvoir d’achat de 100 euros par la prime d’activité. La vérité exige de déduire l’augmentation normale du SMIC et la perte liée à l’inflation.

Il en est ainsi, encore, du milliard d’euros annoncé par Mme la ministre, une annonce qui relève pour le moins d’une présentation largement enjolivée de la réalité.

Ce gouvernement manifeste une affection singulière pour les primes, au détriment des augmentations de salaire : prime d’activité quand une augmentation de salaire était attendue, prime pour les agents hospitaliers qui ne s’en satisfont pas… Il est vrai que la prime engage beaucoup moins. Ainsi pouvez-vous pratiquer sur les allocations diverses et les primes une désindexation qui réduira le pouvoir d’achat de celles-ci de près de 1 %.

Pourquoi cet acharnement à faire payer les plus fragiles ?

Il est vrai qu’ils ont moins de moyens pour manifester leur mécontentement, sauf par la violence accrue ou l’espoir vain et dangereux du recours aux extrêmes. Ils sont les malheureuses victimes de vos politiques.

Près de 1,2 million de chômeurs et leur famille vont progressivement sombrer dans le dénuement le plus tragique. Ils viendront augmenter la cohorte croissante des personnes pauvres.

La baisse des aides personnalisées au logement (APL), dont le Président de la République fait repentance, continue de s’appliquer et impacte leur pouvoir d’achat.

Aucune mesure de réduction de la fiscalité, qu’il s’agisse de l’impôt sur le revenu ou de la suppression de la taxe d’habitation, ne concernera les plus démunis. En 2020, 21 millions de personnes pauvres verront leurs ressources affectées.

Les salariés aux revenus inférieurs à la moitié du SMIC sont écartés du bénéfice de la prime d’activité, de même que les étudiants qui, de surcroît, pour certains, subiront douloureusement les nouvelles références en matière d’APL.

Certes, les bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés apprécieront l’augmentation, même atténuée par la désindexation, de 860 à 900 euros de leur allocation. Mais n’est-il pas mesquin de l’assortir de la suppression du complément de ressources, qui pouvait atteindre 170 euros et garantissait un minimum de revenus à ceux que le handicap empêche de disposer d’un salaire ? N’est-ce pas petit et injuste de plafonner l’AAH d’un couple en l’affectant d’un coefficient de 1,81, alors qu’il était de 2, soit une perte de 10 % des revenus ? Cette mesure pénalisera 67 500 couples.

Riche et bien portant, on est l’objet de beaucoup de sollicitude. Pour les autres, ça va être dur…

Pourtant, un PLF devrait être un moment de créativité, d’enthousiasme, d’innovation pour améliorer sans cesse les conditions du vivre ensemble. Comment tirer quelque enthousiasme d’une proposition inodore et sans saveur ?

L’examen de quelques aspects de votre politique est édifiant.

En matière de lutte contre la pauvreté, on passe certes de 150 millions à 215 millions d’euros, mais pour plus de 9 millions de pauvres… Dérisoire ! Totalement dérisoire ! Il est vrai que l’essentiel sera apporté par les départements, qui auraient mauvaise presse auprès de leurs habitants s’ils refusaient de s’y engager.

Pour l’égalité entre les femmes et les hommes, il n’y a pas 1 milliard d’euros, contrairement aux grandiloquentes déclarations, mais seulement 557 millions d’euros, dont une bonne partie pour des actions internationales. La seule prise en charge des femmes victimes de violences conjugales nécessiterait entre 500 millions et 1 milliard d’euros, selon le Haut Conseil à l’égalité, dont vous déciderez peut-être la disparition, comme vous avez décidé celle de l’Observatoire de la pauvreté. Plus de thermomètre, plus de malade… Pour l’heure, l’inscription budgétaire est limitée à 280 millions d’euros. Le reste est littérature !

Pourtant, les annonces furent solennelles et les mots forts. Les termes « électrochoc », « changement de paradigme » cherchent à masquer, mais cachent mal les insuffisances. Il n’y a pas un sou supplémentaire. Les actions de prévention propres à éviter de nouvelles victimes ne sont que des reprises. Les Françaises et les Français qui manifestaient en grand nombre à l’appel des « Nous Toutes » samedi dernier attendaient autre chose que ces quelques mesurettes qui n’auront guère d’effet.

De plus, le Gouvernement renonce à présenter un projet de loi sur les violences faites aux femmes. Il chargera un député de porter une proposition. Ce nouveau monde marche sur la tête !

M. Julien Bargeton. C’est à peine caricatural !

M. Jean-Louis Tourenne. L’aide à la réinsertion sociale des anciens migrants et les moyens affectés à l’accompagnement des femmes en sortie de prostitution sont en nouvelle décroissance, loin des déclarations sur la volonté de les aider à sortir de l’enfer.

M. le président. Il faut vraiment conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Louis Tourenne. En cinq ans, les revenus du capital pour les actionnaires de Renault ont augmenté de 106 % quand les salaires des employés progressaient seulement de 3 %. Chez Faurecia, c’est 316,7 % d’augmentation pour les actionnaires et 2 % de diminution pour les salariés !

Pour Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie…

M. le président. Je suis désolé, votre temps de parole est écoulé !

M. Jean-Louis Tourenne. Je pensais sincèrement disposer d’une minute supplémentaire, veuillez m’en excuser… (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

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