Lors de la séance de Discussion Générale du PLFSS du 12 novembre 2018, j’ai eu l’honneur d’interroger le Gouvernement dur la branche famille au nom du groupe socialiste du Sénat.
Absence coupable de propositions pour la politique familiale
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sur la branche famille, vos propositions, madame la ministre, brillent par leur absence, en dépit de quelques mesures, certes utiles, mais de portée limitée, ce qui ne vous empêche pas de les exhiber comme de nouvelles révolutions dont nous devrions être les spectateurs éblouis.
Vous vous étiez pourtant engagée l’an passé à une grande réflexion sur la politique familiale, engagement qui servait alors d’alibi à la réduction des prestations allouées aux familles les plus modestes. Je pense à la PAJE, dont vous avez réduit de 10 % le nombre de bénéficiaires et le montant attribué à chacun.
Aucune véritable politique familiale n’est hélas prévue pour 2019, pas plus que n’ont été mis en œuvre les quatre critères de pénibilité supprimés par les ordonnances de Mme la ministre du travail. Les engagements échappatoires semblent faire partie de votre conception particulière de la politique…
Après des régressions en 2018, le Gouvernement rompt avec les principes pour faire main basse sur le budget de la Sécurité Sociale!
Après les régressions de l’année passée, qui, bien entendu, continueront à avoir des effets négatifs sur le pouvoir d’achat, vos quelques propositions pour 2019 me semblent d’abord se caractériser par la volonté de rompre gravement avec un certain nombre de principes et de droits fondamentaux.
Faut-il craindre, en matière de politique sociale, un retour aux années 1930 ? Est-ce ainsi qu’il faut interpréter le message du Président de la République ?
L’État puise dans les caisses de la sécurité sociale et rompt avec l’obligation intangible, depuis la loi Veil de 1994, de compenser les exonérations de cotisations sociales. Il ne suffit pas, monsieur le secrétaire d’État, de mélanger des choux et des carottes pour avoir raison ; nous y reviendrons.
Les retraites, les prestations sociales, les allocations familiales ont cessé d’être indexées. Toute rupture de ce type est un portail ouvert sur de futures dérives.
Le lien de dépendance de l’allocation de rentrée à l’obligation scolaire a également volé en éclats.
Mais se poursuit le harcèlement des plus vulnérables, harcèlement qui se dissimule dans les petites lignes de vos annonces grandiloquentes.
Après la réduction de la PAJE, voilà la taxation des chèques-vacances, alors que 60 % des enfants de smicards ne partent pas.
Nous aurons l’occasion de revenir sur les prétendus gestes généreux en faveur de la prime d’activité et de l’AAH, gestes derrière lesquels se cache ce qui ressemble à une grande duplicité.
La politique familiale est donc quasiment inexistante.
Aucune réponse, ou si faible, n’est apportée à l’augmentation exponentielle du nombre de mineurs non accompagnés, les MNA, à la charge des départements, qui ne peuvent plus faire face tant leurs finances sont exsangues.
Aucune réponse, ou si peu – sous la forme d’un forfait forcément limité –, n’est apportée à la demande réitérée des parents d’enfants autistes ou victimes de troubles comportementaux ou cognitifs. Ils attendent une prise en charge rapide du diagnostic et du suivi, alors même qu’en ces domaines la précocité est essentielle.
Madame la ministre, dans les centres médico-psychopédagogiques, les CMPP, comme les services d’éducation spéciale et de soins à domicile, les SESSAD, les délais sont parfois de deux ans avant le premier rendez-vous ! Je ne saurais vous reprocher ces manques ; ils ne sont pas seulement de votre fait. Mais entendez, s’il vous plaît, l’inquiétude des parents devant les premiers signes de handicap. Ils sont soucieux que les prises en charge et la coordination se fassent dans les meilleurs délais, en mobilisant le concours de praticiens libéraux, faute de moyens publics, et sans attendre les orientations des CMPP.
Déterminisme social : encore une occasion ratée de le combattre
Permettez-moi de terminer par un sujet qui m’obsède : l’aggravation du déterminisme social, la montée des violences gratuites, les inégalités d’accès à la formation. Vous savez que les destins se forgent entre 0 et 3 ans. Il faut six générations, selon l’OCDE, pour qu’un enfant pauvre puisse atteindre le revenu moyen.
L’école, à elle seule, ne peut compenser les carences initiales en vocabulaire, en éveil de la curiosité, en outils d’apprentissage, en socialisation fluide. Votre programme d’ouverture de crèches paraît notoirement insuffisant, alors que les enfants modestes y sont quatre fois moins présents et que la densité d’établissements est largement plus faible dans les quartiers difficiles et en milieu rural. Faute de moyens, les communes concernées ne peuvent en assurer le fonctionnement.
Or la crèche est le meilleur outil pour corriger et compenser les lacunes familiales. Nous savons combien l’inégalité des chances et le fait d’être condamné à un destin négatif conduisent à la violence gratuite : celle-ci a augmenté de 6 % au cours de cette année.
L’UNICEF note de son côté que l’inégalité entre les femmes et les hommes s’installe dès l’enfance. Ainsi, dans les quartiers populaires, les filles sont plus largement écartées de l’accès au savoir et à la santé.
Ces exemples ne suffisent-ils pas à démontrer la nécessité d’une grande politique de la petite enfance ? Notre capacité à vivre ensemble de façon sereine et apaisée dépend étroitement du sentiment ressenti par chacun d’avoir reçu de la société les justes moyens de réussir sa vie.
On ne trouve rien de tout cela dans votre projet, madame la ministre, projet qu’on serait tenté, sauf amélioration importante, de rejeter pour cause de vide, voire de régression.